AMINETOU

Il faut apprendre à voir le vent.

Avant qu’il n’arrive, avant qu’il ne soulève le sable. Un, deux. Ma mère me l’a appris. Un, deux, trois. Aujourd’hui, j’ai rêvé de quelque chose. Ce soir, cela arrivera.

Un. Ma mère vient souvent dans les rêves. Dans le rêve, elle est très loin. Deux. Quand j’essaie de m’approcher, elle disparaît. Trois. Elle s’appelait Mariema.

Il faut apprendre à cuisiner, à danser, à aller puiser l’eau au puits. Un, deux, trois. Ma mère me l’a appris. Mais moi, je la vois. Il faut apprendre à voir dans le vent. Dans le rêve, elle est toujours lointaine. Elle me donne des conseils.

Un, deux, trois.

J’étais petite. Je m’étais perdue dans le palmeraie. J’étais sortie chercher de l’eau, et puis le vent. Un. J’ai couvert mon visage avec le melhfa. Deux. J’ai suivi un fil de fer. Trois. J’ai compté les puits. Un. Deux. Trois. J’ai fermé les yeux. Je les ai rouverts. Et il n’y avait plus rien.

Un, deux, trois puits.

J’ai eu peur. J’ai vu le vent arriver. Tout le village m’a cherchée. Envoyé par ma mère. Un, deux, trois. Ils m’ont retrouvée. Mon nom porté dans le vent. Mais si tu vois le vent arriver, tu dois rentrer chez toi. Je rêve encore, maintenant. Je rêve de ma mère. Un, deux, trois. Mais elle est toujours loin. Comme une voix venue des puits. Un, deux, trois. Un pour l’eau.

Un pour le vent. Un pour elle qui m’appelle.

Si tu vois le vent arriver, tu dois toujours rentrer chez toi.


OUMAR

Je suis une créature habitée.

Je suis habité par des images de créatures. J’ai rêvé deux fois le même rêve. Deux fois le même rêve. Il y avait ma grand-mère. Elle s’appelait Aïcha Djouldé. C’était la nuit. Je courais vers elle. Je courais, mais je n’avais pas peur.

Je suis habité. Je suis habité par des chevaux, des chèvres, des vaches, des oiseaux. Je suis habité par des langues que je ne connais pas. Je suis habité par des images.

Dans le rêve, il y avait une barrière. Devant, un chien. Immobile. J’ai appelé ma grand-mère : “Taana, taana — Grand-mère, grand-mère.” Elle a répondu : “Monioo, monioo — Qui es-tu ? Qui es-tu ?”. J’ai essayé de sauter la barrière, et je me suis réveillé.

Je suis habité. Je suis habité par des cornes et des plumes. Je suis habité par des sabots et des queues. Un jour, un voyant a dit à ma grand-mère que j’aurais été différent. Que j’aurais été un artiste. Ma mère m’attendait, j’étais dans son ventre. Et ma grand-mère devinait déjà ma nature. Elle savait déjà que j’aurais été habité.

Avant l’islam, on parlait au divin à travers les sculptures. Puis on nous a dit que c’était interdit. Mais moi, je sculpte. Je modèle des chevaux, des chèvres, des vaches, des oiseaux. Il me suffit d’un fil de fer. Je sculpte les bêtes qui vivent en moi. Parce que je suis un corps traversé. Je suis un lieu.

Ma grand-mère me soutenait. Les autres avaient peur de mes créations. Avec quelle langue parle-t-on aux morts ? La religion dit : en arabe. Mais ma grand-mère parlait le fulfuldé. Et les animaux qui habitent en moi parlent d’autres langues.

Dans le rêve, quand je l’ai appelée, j’ai dit : “Taana, taana.” Et elle a répondu : “Monioo, monioo — Qui es-tu ? Qui es-tu ?”. Qui suis-je ? je me demande. Et en moi, j’entends : un cheval, une chèvre, une vache, un oiseau. Je suis habité, et tant que je serai habité, elle continuera à me demander : qui es-tu ?


WOUDJOU

L’amour est une histoire interdite

Une histoire sans papiers. Moi, je suis douanier. Chaque jour, je contrôle qui entre, qui passe. Les rêves passent toujours. L’amour passe toujours. Chaque fois que je rêve de mon amour, elle passe.

Une fois, j’ai rêvé d’un cheval. J’ai demandé à ChatGPT: est-ce un bon signe? Je serai un patron, dans une voiture à six cylindres. Mais c’était un rêve. Comme elle.

Elle, ma deuxième épouse. Je l’aime encore. Et elle m’aime aussi. Nous nous sommes quittés, mais nous nous retrouvons dans les rêves. Sur un tapis, sur un nuage.

Nous préparons le thé. Personne ne contrôle notre passage. Personne ne demande les papiers. Elle verse le thé, me regarde. Et je comprends qu’elle est encore là.

Sa famille demandait plus d’argent. Et moi, je n’en avais pas assez. Elle avait les bons yeux. Le bon cœur. Bon pour moi. Pas pour un autre. Mais cela ne suffit pas.

J’ai demandé à ChatGPT. Si tu rêves d’un cheval, tu deviendras riche. Mais il ne connaît pas mon histoire, il ne connaît pas mon pays, il ne sait rien de ma culture.

Chaque fois que je rêve de mon amour, chaque fois qu’elle verse le thé, cela veut dire que l’amour continue. Là où personne ne contrôle pas. Là où elle entre chaque fois sans dire son nom. Et moi, je la laisse passer


MAIMOUNA

Mon rêve est un vrai rêve

Mon art. Je suis pâtissière et je connais le bonheur. Je le vois dans les yeux de ceux qui mangent mes gâteaux. Mon rêve est un vrai rêve. Et il vient de Dieu.

Il y a des rêves qui font peur. Il faut savoir prier. Il faut savoir rêver pour ne pas se faire voler l'âme. Mes rêves sont vrais.

Il y a un arbre sacré. Seuls les sages savent où il pousse. Diatiguifaga djiri, l'arbre qui tue celui qui l'accueille. Deux vies sur un seul tronc. Il commence à voler la sève. Il commence à voler l'âme.

J'ai fait un rêve, un vrai rêve. Dans la nuit je marchais, ma sœur à mes côtés. Puis un chien. Un chien noir, le regard noir, plus noir que cette nuit. J'ai arrêté de penser aux gâteaux. Puis une pierre. Ma sœur l'a chassé.

Le matin, on m'a emmenée au grand marché. Les rêves qui font peur doivent être soignés. Au grand marché. Il y avait une Vieille. Elle a dit: ce sont les sorcières qui entrent dans les rêves. Ce sont les sorcières qui volent l'âme. Elle a dit qu'on peut vivre sans âme. Mais quand le corps s'en va, il ne reste plus rien.

Mon rêve est un vrai rêve, mais les gâteaux ne suffisent pas si on te vole l'âme. Le corps ne suffit pas si on te vole l'âme. Elle m'a donné les feuilles de cet arbre que seuls les sages savent où il pousse.

Il faut savoir rêver pour ne pas se faire voler l'âme.

Il faut savoir prier pour ne pas se faire voler les rêves.


MAMADOU

Mes mains connaissent la terre

Elles ne connaissent rien d’autre. Elles connaissent la terre. Leurs yeux regardent la terre. Les mains de mon père connaissaient la terre. Mais ses yeux regardent maintenant le ciel.

Les secrets ne sont pas dans la terre. Ils sont dans le vent. Et le vent fait naître les rêves. Parfois je rêve de l’eau. Et du champ qui pousse. Des oiseaux sur les rives du fleuve. Des étangs pleins de poissons.

Les secrets ne sont pas dans la terre. Ils sont dans l’eau. Les rêves sont des secrets. Et les secrets sont des rêves.

Parfois on peut rêver de choses qui ont un sens à l’envers. Le sens des rêves est renversé.

Parfois il faut connaître la terre pour connaître le vent. Mon père connaissait la terre. Mais les secrets ne sont pas dans la terre.

Parfois il faut connaître la terre pour connaître l’eau et le vent. Les rêves se mélangent dans l’eau. Ils volent dans le vent.

Mes yeux sont ceux de mes enfants, ceux de mon père. Éveillés, ils regardent la terre.

Dans les rêves, l’eau et le vent.


KOROTOMOU

Mes enfants iront un jour à l’école

Je le sais. Je l’ai rêvé et les rêves sont des prémonitions. Il faut faire des sacrifices pour rendre vraies les prémonitions. Mes enfants iront un jour à l’école. Je les mènerai par la main.

J’en ai allaité cinq, les cinq. Je donnais le lait à l’un et mon ventre portait déjà un autre. J’en ai allaité cinq, tout les cinq. Deux, je les ai rendus à la terre. Maintenant, sur mon dos, dort ma dernière fille.

Je rêve qu’elle puisse rêver. Un jour, elle ira à l’école. Je la mènerai par la main. Elle dort, et je rêve pour elle. La seule façon de rendre les rêves vrais, c’est que moi, pour elle, je rêve maintenant.

Les rêves sont des prémonitions. Il faut faire des sacrifices pour rendre vraies les prémonitions. La fourmilière est la bouche de l’autre monde. La terre est un ventre qui garde deux enfants. J’en ai allaité cinq, tout les cinq. Je verse le lait sur la fourmilière, la bouche de la terre. Mon sacrifice. Deux enfants, je les ai rendus à la terre.

Maintenant, j’allaite la terre. Le ventre de l’autre monde. Et je rêve. Je rêve pour elle qui dort maintenant sur mon dos. Je rêve et la fourmilière suce mon lait. Mes enfants iront un jour à l’école. Je le sais. Je l’ai rêvé. Je les mènerai par la main, les cinq. Je les ai allaités. Maintenant, j’allaite la terre.

Les cinq, je les mènerai par la main, et ils pourront rêver. La seule façon, c’est que je rêve maintenant.


MAHAMADOU

Je ne me souviens pas les visages de mon père et de ma mère.

Les rêves sont une chose sacrée. Ils gardent le secret. Dans les rêves, il y a les yeux et le sourire de ma mère. Il y a les mains de mon père.

Il y avait une colline à côté de la maison. Moi et mes cousins, nous chassions les lapins et les oiseaux, avec le lance-pierre. Je ne me souviens pas les visages de mon père et de ma mère. Mais sur cette colline, oui, je me souviens que j’étais heureux.

Les rêves sont une chose sacrée. Il faut être fatigué pour rêver. Il faut avoir chassé beaucoup de lapins sur la colline. Et avoir une sœur qui t’élève pour te rappeler que tu as été un enfant heureux. Mais les rêves sont une chose sacrée.

S’il existait une photo, je saurais si j’ai le nez de mon père, le front de ma mère. Mais cela reste un secret.

Je lis toujours un verset du Coran avant de m’en dormir. Sinon viennent les cauchemars. Et dans les cauchemars, il y a des prophéties. Sur la colline, avec mes cousins et mon lance-pierre, j’étais heureux. Il faut être fatigué pour rêver, il faut avoir travaillé pour être fatigué.

Dans les rêves, il y a le sourire de ma mère. Et les rêves sont une chose sacrée. Il y a les rides de mon père. Une chose sacrée. Et une sœur qui t’élève.

Ce soir encore, je lis le Coran pour chasser les cauchemars. Et je chasse les oiseaux, je chasse les lapins, avec le lance-pierre et mes cousins. Sur cette colline, je m’en souviens : j’étais heureux. Les rêves sont une chose sacrée.

Ils gardent le secret. Et le secret reste caché sur cette colline ou dans une photo, où mon père et ma mère, main dans la main, sourient.


WASSA

Je croyais qu’il allait mourir

Son corps ne tenait plus qu’à un fil d’ombre et d’os. Comme ses frères. Les rêves racontent des histoires et les miennes habitent dans l’eau. Je ne voulais pas l’emmener à l’hôpital, je préférais qu’il meure dans mes bras, chez lui, au village, comme ses frères. J’ai perdu cinq fils.

Je rêve toujours d’être dans l’eau. Les rêves disent la vérité. Mes histoires habitent dans l’eau. Je vais bien, l’eau est fraîche, mais il n’y a pas assez à manger.

Pendant un an, ils sont allés à l’école près de la rivière. Dans le rêve je les ai vus jouer, je les ai vus se noyer. Les rêves sont faits d’histoires vraies. Les miennes habitent dans la rivière.

J’ai demandé conseil aux sages du village. Ils m’ont dit de verser le lait dans la rivière. L’eau est fraîche. Les cinq, je les retrouve toujours ici, mais pour Bekai j’ai versé le lait.

Et la rivière m’a dit la vérité. Là vit mon esprit protecteur.

S’il devait mourir, ce devait être dans mes bras, au village. Mais Bekai est vivant. Depuis sept ans. Il mange, et va à la rivière où le lait a été versé.

Je croyais qu’il allait mourir, mais les rêves disent la vérité. Je rêve toujours d’être dans l’eau.

Bekai est vivant, il rêve d’être dans l’eau. Le lait est versé. Je vais bien.

L’eau est fraîche.


RAMATA

Mon mari est parti à l’aventure.

Il n’est jamais revenu. Il y a eu un temps où il ne me restait plus rien. Rien, sauf trois enfants. Tous à nourrir. Tous à envoyer à l’école. J’ai commencé à vendre du riz dans la rue.

Une poignée après l’autre. Chaque jour. Toujours plus. Le soleil me voyait chaque matin. Le soir, il me retrouvait là.

Il y a eu un temps où il ne me restait plus rien. Maintenant, ce temps est passé. J’ai appris ce que veut dire rêver. Je l’ai appris avec les mains qui donnaient, pas avec celles qui demandaient. J’ai commencé à travailler et j’ai compris que le rêve arrive quand tu crois que tout est fini. Le rêve marche à tes côtés même si tu ne le vois pas.

Le serpent me protège. Il rampe dans mes rêves comme une chose vivante, silencieuse. Si je le rêve, je ne le tue pas. Si je le vois, je le respecte. Il me protège. Il protège mes enfants. Je n’ai pas peur du serpent. Je n’ai pas peur du rêve.

Il a des yeux qui restent ouverts quand les miens se ferment. Quand je dors, lui est éveillé. Il ne te montre pas les choses comme elles sont ici. Il te les montre comme elles sont ailleurs. Il vient souvent les nuits de lundi et de jeudi. Il glisse dans les rêves et disparaît comme une vision, mais si tu ouvres les yeux, alors il n’est plus là.